Ninkasi : la recette magique de Christophe Fargier

Christophe Fargier
Christophe Fargier

Avec ses vingt établissements en Auvergne-Rhône-Alpes, le Ninkasi fait aujourd’hui figure d’institution incontournable dans la région. Le groupe lyonnais, qui fêtera à l’automne 2022 son 25e anniversaire, poursuit son développement – quelque peu ralenti par la crise – et compte désormais s’étendre sur tout le territoire national.

Christophe Fargier

Le bac en poche et des rêves plein la tête, Christophe Fargier s’envole à tout juste vingt ans pour Portland et la côte ouest des États-Unis. Sur place, le Stéphanois tombe sous le charme des microbrasseries américaines et des « craft beers », ces bières artisanales au goût prononcé. De retour en France avec son ami Kurt Hoffmann, rencontré de l’autre côté de l’Atlantique, il fait le pari – après avoir repris ses études de commerce –, d’importer le concept dans sa région natale. Les deux hommes partent apprendre le métier de brasseur à Chicago à l’automne 1995, s’inspirent des concepts américains et reviennent, un an plus tard, avec la ferme intention de concrétiser leur projet dans la région lyonnaise. « Nous sommes revenus avec des tonnes d’idées et la volonté de passer à l’action, confirme le fondateur du Ninkasi. On a eu la chance de trouver très rapidement le lieu, dès les premières semaines de notre retour en France. » Le duo s’installe donc à Gerland, dans un entrepôt de 1500 mètres carrés inoccupé depuis trois ans. « Nous étions en concurrence avec un Quick et un projet de discothèque. Il a fallu convaincre les propriétaires du site et les élus de la mairie, puis les banques. Un sacré yoyo émotionnel avec des moments où l’on pensait que tout allait s’arrêter. Mais grâce à notre bonne étoile, le projet est sorti. »

Paul Bocuse et l’effet 1998

Le 11 septembre 1997, Christophe Fargier inaugure donc le Ninkasi, du nom de la déesse de la bière dans la mythologie sumérienne. La première semaine de son ouverture, l’établissement reçoit la visite d’un illustre personnage de la gastronomie lyonnaise. « Paul Bocuse est venu incognito avec sa casquette et ses lunettes de soleil pour découvrir le concept. Il est reparti au volant de sa voiture de sport en nous disant  » C’est super, vous avez tout compris «  », se souvient le fondateur.

Les débuts du Ninkasi sont pourtant difficiles. « On a reçu beaucoup de critiques, sur le goût prononcé de notre bière, sur la décoration. Nous avions choisi d’être un lieu industriel avec du béton, des tuyaux apparents, de l’inox. Quelque chose qu’on retrouve aujourd’hui de partout mais à l’époque, Le Progrès nous a qualifiés de « Cantine sans âme ». » L’établissement peine à se faire une clientèle, le métro B n’arrive pas encore jusqu’à Gerland et le quartier n’est pas un véritable lieu de sortie. Bonne étoile encore : la Coupe du Monde 1998 et les six matchs disputés dans le stade voisin de la brasserie font une parfaite rampe de lancement. « Les bus s’arrêtaient pile devant l’établissement. Donc tous les gens qui venaient au stade en transports en commun passaient devant le Ninkasi. Ça a été un moyen extrêmement puissant pour conquérir une clientèle et se faire connaître. On a franchi un vrai palier d’activité suite au Mondial. » Le début de la sucess-story.

Prises de risques

Au fil des années, le Ninkasi s’impose comme une véritable institution de la place lyonnaise, ouvre de multiples établissements en ville, alignés sur sa recette magique en trois volets : bière, burger, musique. « Ce triptyque a servi notre ambition d’être un lieu de vie, de rencontre, d’émotion, de partage et de convivialité. Nous voulions faire de la restauration simple avec des grandes assiettes, des pichets de bière, une programmation musicale éclectique pour brasser du public et plaire au plus grand nombre. » La musique prend même une dimension majeure dans le projet avec l’ouverture en 2 000 du Kao, une salle de concert de 700 places. Une aventure « un peu folle », lancée sans véritablement mesurer « toutes les conséquences qu’elle engendrait », aux dires du fondateur. « C’est l’esprit Ninkasi, des prises de risque, de l’expérimentation. Quand on a envie de développer un projet, on va au bout. On a rarement renoncé. Ça nous est arrivé de connaître l’échec, mais on persévère dans chacun de nos projets. »

Développement national

Le prochain projet, de taille, prouve une nouvelle fois toute l’ambition du groupe lyonnais. Avec désormais 21 établissements (11 en franchise), dont un à Dijon, ouvert en juin dernier (le premier hors de la région Rhône-Alpes), le Ninkasi compte se développer à terme sur tout le territoire. « Nous avons des projets en discussion à Rouen, Bordeaux, Lille, en Bretagne, dans le sud de la France… Ce qu’on a réussi à construire à l’échelle de la région, on veut maintenant l’élargir à l’échelle nationale. Toutes les régions du territoire nous intéressent et des ouvertures se feront un peu partout dans les prochains mois… », détaille Christophe Fargier. Le groupe vise ainsi les 36 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021, après une année 2020 difficile marquée par les fermetures successives de ses établissements (16 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020 contre 23 en 2019). Pour éponger ces mauvais résultats dus à la crise, le groupe s’est d’ailleurs vu contraint de revendre plus tôt que prévu son site historique dans le quartier de Gerland, pour ne pas remettre en cause la construction de sa nouvelle usine à Tarare (livrée en 2023) et d’un nouveau site, trois fois plus grand, à Oullins (prévu pour 2025). « Sur ce nouvel espace, on veut offrir une expérience plus complète par rapport à ce qu’on pouvait vivre au Ninkasi Gerland. On va notamment créer tout un univers autour de la bière, retrouver la dimension musique avec une salle de spectacle, avoir un espace pour accueillir des événements et conférences. On espère proposer un lieu authentique aux Lyonnais, aux gens de la région et à tous les Français qui auront entendu parler du Ninkasi et auront envie de découvrir ce qui se cache derrière ce nom. »

« On travaille avec trois cabinets d’expertise comptable, Orial, Ceralp et Orfis. Nous sommes très transparents puisqu’on communique beaucoup, on donne beaucoup d’informations sur l’entreprise, ce qui crée de la fluidité. Nous avons donc besoin de les solliciter, il n’est pas nécessaire de tout leur expliquer, ils sont informés. C’est vraiment important d’avoir cet apport extérieur. Il est essentiel pour ne pas fonctionner uniquement en circuit fermé et être challengé. Dans cette période de crise, durant laquelle on a quand même été bien chamboulés, il a fallu revoir notre stratégie financière. Ces cabinets nous aident à faire des arbitrages. Notamment sur la cession du site de Gerland, sujet qui a été partagé. »